25 novembre 2020

Temps de lecture : 4 min

“La France n’est pas un pays sur-consommateur mais sous-publicitaire”

À la veille des États Généraux de la Communication, Mercedes Erra, fondatrice et présidente de BETC - présidente exécutive d’Havas Worldwide, revient sur une année 2020 noire pour la publicité et sur l'importance de la communication dans l'économie.
© Jarrar

© Jarrar

En juin 2019 vous exprimiez votre vive inquiétude pour le secteur et ses métiers lors de l’événement « Le Pouvoir des marques ». Dans quel état d’esprit abordez-vous les États Généraux de la Communication ?
Il y a un an, j’étais inquiète d’autres sujets, à savoir la compréhension de la valeur ajoutée des agences et de leurs prestataires par les annonceurs. Je témoignais alors de situations que nous vivions chez BETC et cela a suscité une certaine émotion auprès d’autres patrons d’agences qui n’imaginaient pas que nous prenions des coups également. Mais ce n’est pas un sujet que nous allons aborder lors des États Généraux du 27 novembre, même s’il est important de réaffirmer l’importance de nos métiers et de repenser la redistribution de la valeur.

Il y a des règles de comportements qui se sont perdues et le Covid n’a en rien arrangé la situation !

Il y a des règles de comportements qui se sont perdues et le Covid n’a en rien arrangé la situation ! Au mois de septembre 2019, chez vos confrères de Stratégies, j’ai fait une tribune pour proposer la tenue de ces États Généraux de la filière communication. Je me suis battue pour que les diverses typologies d’agences se réunissent pour régler nos différents problèmes, en prenant de la hauteur sur les sujets. Puis est intervenue la crise du Covid qui a fait entrer le métier en récession, à l’instar d’autres secteurs qui par ailleurs sont nos clients. Le Covid a donc fragilisé tout le système

Outre échanger avec ses pairs, avec l’écosystème, quel est l’enjeu de ces États Généraux ? Sont-ils un point d’étape des travaux de la filière communication que vous présidez depuis sa création en 2016 ?
Nous avons travaillé à ces États Généraux notamment avec l’Union des marques et son président Franck Gervais qui s’est beaucoup investi pour que l’événement ait lieu. Nous avons créé 3 groupes de réflexions, le premier portant sur les questions de consommation. La France, n’est pas un pays sur-consommateur mais un pays sous-publicitaire et, en l’état actuel, la faiblesse de l’économie impacte forcément la consommation.

Nous sommes engagés dans une consommation différente et plus responsable, c’est une réalité, mais ne soyons pas radicaux dans nos positions. 

Nous sommes engagés dans une consommation différente et plus responsable, c’est une réalité, mais ne soyons pas radicaux dans nos positions. Ne partons pas d’un tableau trop noir et de clichés, d’un monde qui arrête d’avoir des envies. La publicité c’est aussi de la pêche et de l’énergie !

Notre deuxième thème porte sur la valeur ajoutée et comment elle se distribue au sein de la chaîne. Nous y aborderons la relation entre les agences, les médias, les annonceurs, etc. Enfin, le troisième sujet est celui de l’économie de nos médias, de comment faire grâce aux GAFA, etc. Reconnaissons par exemple que nous avons longtemps été un peu inconscients face à ces géants du web.

En termes de format, ces États Généraux en temps de Covid seront un grand débat digital, avec différentes parties prenantes et des contradicteurs pour entendre des points de vue différents. Un moment d’ouverture qui va nous permettre de prolonger notre réflexion et les travaux de la filière.

Des États Généraux ayant comme thématique « Pour une consommation plus responsable et une société plus vertueuse ». Deux adjectifs qui doivent s’appliquer à la communication également ?
La réflexion sur l’écologie menée notamment par la Convention Citoyenne pour le climat a mis en exergue des incompréhensions. Sans doute parce qu’il y a une faille dans la culture économique française car nous ne pouvons pas vivre dans un monde libéral sans communication. Nous sommes tous d’accord aujourd’hui pour faire attention à la planète, c’est évident. Les marques ont écouté les consommateurs. Mais n’oublions pas pour autant la question de l’emploi. Ce qui est difficile, c’est de trouver les figures de la transition et de savoir sur quoi appuyer pour aller dans le bon sens. Il faut donc prendre les sujets pleinement, dans leur globalité, pour être sûrs de ne pas se tromper de chemin vertueux.

Comment la communication peut être le carburant (non polluant) nécessaire à la relance de l’économie ?
C’est l’essence même de la communication ! La France communique beaucoup moins que la Grande-Bretagne et l’Allemagne par exemple, notre pays a donc moins de croissance. La croissance est liée à la communication et ceux qui actuellement communiquent gagnent des parts de marché.

La communication c’est de la confiance, malheureusement en France nous avons moins confiance en tout.

La communication c’est de la confiance, malheureusement en France nous avons moins confiance en tout. La publicité est une confiance, le courage de dire en quoi vous vous trouvez bien et légitime, dans un encadrement régulé. Et rappelons que nous n’avons toujours pas trouvé mieux que l’étude Deloitte pour expliquer qu’un euro investi a un impact de plus de 7€ sur le PIB. Enfin, les consommateurs sont intelligents, si les messages et produits qu’on leur propose ne leur conviennent pas, ils n’achètent pas. Et la publicité n’y changera rien.

Et en termes d’attentes sociétales ?
Le grand changement a été celui du passage de la marque à l’entreprise. Désormais, on demande à l’entreprise d’avoir une vision de son rôle au sein de la société et d’être alignée avec ses valeurs. Le grand public est en attente de ces messages, sans greenwashing. Autrefois le corporate était délaissé, aujourd’hui il est intimement lié au commerce.

2020, Annus Horribilis pour la com’. Quelle résilience pour la communication, pour reprendre le terme du moment ?
La communication a été bousculée comme l’ont été les entreprises. Nous sommes face à une grave crise économique et en même temps dans un besoin d’alignement, de transition, de vérité pour construire un monde meilleur. C’est difficile évidemment – et l’année prochaine le sera encore – mais la solution n’est certainement pas dans l’absence de communication. Sachons en effet faire preuve de résilience et d’un point de vue sociétal, faisons attention à ne pas creuser davantage les inégalités dans notre pays. Quant à la publicité, elle repartira d’elle-même avec l’économie. 

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