Pléthoriques, les événements dédiés au digital et la tech sont rapidement devenus le bingo gagnant des organisateurs et des prestataires. Pourquoi continuent-ils à faire le plein et à quoi servent-ils réellement ?
Pas une semaine ne se passe sans que se déroule un événement sur la tech ou le digital, principalement à Paris, et encore trop peu en région alors que l’écosystème y est souvent bouillonnant. Conférences, sommets, salons, meet-up, etc., les formats font florès, déclinés par verticales ou pour thèmes. Symptomatique du flou artistique dans lequel peuvent encore évoluer des entreprises en termes de transformation digitale, cette prolifération est aussi synonyme d’une belle opportunité pour la chaîne de valeur événementielle de drainer du business, car elle demeure sans doute la mieux placée pour donner de la résonance et favoriser l’échange autour des questions d’innovation.
Faire vivre une communauté
« Tout le monde a besoin de se conforter auprès de ses pairs, de se rassurer, de partager et les événements procurent cela, indique Lionel Malard, consultant et fondateur du cabinet conseil Arthémuse. Je trouve intéressant pour notre secteur que des gens qui souhaitent fédérer leur communauté le fasse via l’événement. » Pour Laurent Charon, ex-directeur de l’innovation chez Viparis « le digital est un sujet en plein boom, qui intéresse et mobilise, mais je n’ai pas l’impression ce soit un phénomène vraiment nouveau. Aujourd’hui, le digital représente l’innovation. Demain ce sera un autre sujet ». Si effet de mode il y a – comme par exemple vouloir faire son meet up à Station F – et que les grandes entreprises paraissent moutonnières, victimes du fameux FOMO (peur de passer à côté), les événements sur le digital mobilise toujours les insiders. De quoi satisfaire les prestataires événementiels qui ont vu se développer la thématique et son cortège d’événements au cours de ces dernières années. « Nous travaillons notamment sur les salons dédiés au digital ou pour des entreprises qui ont amorcé la transformation digitale de leur modèle économique. C’est un marché en croissance et qui contribue à l’enrichissement de la filière. Les agences nous demandent des idées innovantes, mais parfois les donneurs d’ordre ont des réticences à utiliser les nouvelles technologies. Il y a une envie de technologie mais aussi une crainte de la nouveauté, assez paradoxalement. Et il faut aussi que les budgets suivent. » nous confie Jacques de la Guillonnière, président du groupe Novelty.
Des formats assez convenus…
Si l’on met de côté les événements propriétaires de grands acteurs tels que Microsoft, Orange, ou encore Salesforce qui s’appuient sur l’expertise d’agences événementielles et déploient les moyens ad-hoc, cette mobilisation a logiquement fait naitre l’appétit d’organisateurs d’événements plus ou moins aguerris mais sachant s’appuyer sur du contenu. Et peu importe parfois les à-côtés et les questions d’organisations, en tout cas pour l’instant. A l’occasion d’un nouvel événement à Paris, dans une queue absolument pas anticipée par les organisateurs, notre voisin témoignait : « C’est super mal organisé, ce n’est pas normal étant donné le prix qu’on paie ! ». Réponse de son voisin « Oui mais le contenu est quali ! ». Un dernier argument qui ne tiendra évidemment pas sur le long terme. « Tous ces organisateurs amateurs comblent un vide, peut-être que les professionnels de l’événementiel devraient aller à la rencontre de ces communautés pour les aider à créer des formats créatifs et pérennes » suggère Lionel Malard. Restent des événements qui se distinguent sur le fond comme sur la forme. Pour Laurent Charon, Futur en Seine (rebaptisé FUTUR.E.S cette année) relève bien le challenge, l’événement s’avérant inclusif et ouvert sur la ville. L’un de nos confrères spécialisé dans le digital nous cite Netexplo, ancré dans le prospectif, quand Lionel Malard reconnait dans les derniers Sommets du digital une rencontre avec un programme pertinent et d’une grande qualité en termes d’hospitalité.
…et des speakers parfois en demie-teinte
Citons aussi ComInTech dédié à notre secteur ou encore L’Echappée Volée qui, s’il n’est pas positionné digital, évoque les questions de transformation et d’innovation technologique au travers de keynotes de personnalités souvent étrangères et peu connues du public français. Car à force de répétition, un autre biais des événements sur le digital devient le manque d’originalité des speakers. Il y a les « stars » comme Cédric Villani ou Laurent Alexandre dont les punch lines sont autant d’uppercuts délivrés d’événements en événements. Réussir à faire venir sur son événement Mounir Mahjoubi sera aussi du meilleur effet, le secrétaire d’Etat chargé du numérique se prêtant plutôt facilement à l’exercice. Et puis, il y a les top managers des grands groupes – souvent sponsors – qui peinent à sortir de leur discours corporate, voire promotionnel, là où ils auraient indubitablement des choses passionnantes à raconter. « C’est aberrant d’avoir encore des gens qui sont là pour diffuser leur discours promotionnel. On n’est pas là pour ça, on est sensé s’élever, se projeter à 10 ou 20 ans » regrette Lionel Malard. « Soit vous avez sur scène un big boss, comme Eric Schmidt (ex patron d’Alphabet maison-mère de Google, ndlr) qui lui va dire ce qu’il veut, soit vous avez des managers qui ne sortent surtout pas de leurs éléments de langage » renchérit notre confrère spécialisé digital.
Le cas Viva Technology
Eric Schmidt justement, on a pu le voir sur Viva Technology. Le président fraichement élu Emmanuel Macron aussi, venu l’an dernier soutenir la communauté française du digital et annoncer une série de mesures pour hisser la France au rang de « start-up nation ». En seulement deux éditions, L’événement co-conçu par les groupe Publicis et Les Echos en 2016 a relevé le challenge de s’imposer comme le rendez-vous incontournable en France pour tout acteur du digital et de la tech. D’un côté, une expertise d’un groupe de presse en capacité de délivrer du contenu expert et de mobiliser son vivier d’annonceurs ; de l’autre un groupe de communication leader dont le patron n’hésite pas à ouvrir son carnet d’adresses pour faire venir les grandes boites du CAC 40 et qui possède un savoir-faire événementiel. Et le tour est joué, enfin presque. Car l’ingéniosité de VivaTech est d’avoir capté ce désarroi de nombre de grandes entreprises face à la transformation digitale et de leur avoir proposé une visibilité qui les légitimise sur la thématique. Des grandes entreprises qui assurent en majeure partie le financement de la manifestation et drainent à eux l’écosystème des start-up qu’elles hébergent sur leur mega stand. « Les sponsors de VivaTech sont uniquement de grosses boites. Ce sont les argentiers et ils veulent que ça en jette. » confie un observateur du secteur. Quitte à siphonner beaucoup de budgets, regrette une organisatrice d’événements…
Alors oui, d’un point de vue participants, il y a sans doute trop d’événements dédiés au digital aujourd’hui. Mais ici comme ailleurs, la sélection naturelle opérera, les plus forts et les plus agiles s’imposant à moyen terme. Reste aussi à faire évoluer un écosystème digital – et les entreprises sponsors – un peu trop en vase clos qui gagneraient à s’ouvrir davantage et à ne pas uniquement s’adresser à des insiders. A l’heure où une grande partie des Français reste sous-informée, en rupture technologique, ou extrêmement méfiante face à la révolution numérique, à quand des formats réellement inclusifs, éducatifs et participatifs ? D’autant que le vrai sujet n’est pas tant le digital et la technologie que leurs impacts sur le monde de demain.