Gad Weil, fondateur de Place Grand Public – La Fonderie, partage avec nous sa vision de la création événementielle et de l’exploitation de l’espace public.
Paris reste-t-elle un bon terrain d’expression pour les créateurs d’événements ?
Gad Weil : Paris a tout pour elle ! Son terrain est immense, on y trouve des sites incroyables, elle a accès à tous les médias, mais les événements qu’elle accueille ont changé, ils sont plus petits, moins originaux… Passée la dizaine de manifestations comme le Tour de France cycliste, Nuit Blanche, le 14 juillet, le 31 décembre ou la Fête de la musique (qui sont des marronniers) que reste-t-il en matière de grands événements originaux ? Un Festival de drones, Bio Diversiterre…
Le dispositif de Paris 2024 a quand même fait preuve d’originalité…
Gad Weil : Oui, mais il s’agit une fois encore d’une commande. J’ai le sentiment qu’aucun des événements accueillis par la ville ces derniers temps ne marquera durablement les esprits. Ils sont moins originaux et ambitieux qu’ont pu l’être d’autres comme le bicentenaire de la Révolution en 1989 (avec Jean-Paul Goude), Nature Capitale (en 2010), etc… Il faut aussi dire que le contexte général a beaucoup changé. La situation financière et économique, ajoutée aux formalités administratives, ne s’y prête pas. Je ne suis pas sûr que des opérations de cette envergure seraient encore envisageables aujourd’hui. Ce n’est pas la ville mais les contraintes et les process qui nous brident en nous imposant un cadre restreint. Les créateurs sont invités à créer où on leur demande et quand on leur demande…
En quoi cela peut-il être problématique ?
Gad Weil : Quelle qu’elle soit, la ville a besoin de laisser vivre des projets qui ne viennent pas d’elle. Elle ne peut pas tout susciter. Elle peut renouveler des événements mais ne peut pas sonder l’âme des créateurs. Quels que soient le talent, la sincérité, et la créativité de ses équipes, si elle ne fait que ce qu’elle a elle-même imaginé tout devient trop formaté. La richesse des événements de rue, c’est qu’ils viennent de partout, d’associations, d’artistes, de sociétés, d’organismes… Tous mes événements sont des créations originales, qui ne sont pas des commandes ou n’ont pas initialement été souhaitées par la ville.
Concrètement, qu’est-ce qui a changé pour les porteurs de projets ?
Gad Weil : Il y a sept ans, il était possible de trouver plusieurs partenaires pour réunir quelques centaines de milliers d’euros pour la création d’un projet. Aujourd’hui, il faut autant d’énergie pour espérer lever 100 K€. Cette débauche d’effort pour un tel résultat, une fois encore cumulée à la multiplication des contraintes administratives et sécuritaires, freine clairement l’initiative. Parallèlement il faut aussi admettre que si le développement du numérique facilite la rencontre, il a également détourné de la rue de nombreux créateurs et/ou porteurs de projets qui trouvent sur internet le moyen d’exprimer leur créativité à moindre coût, avec moins de contraintes et de responsabilités. L’espace public a beau être un espace magique, il est devenu moins attractif car moins accessible.
Quel est le risque à terme pour les villes ?
Gad Weil : C’est justement que plus aucun artiste, aucune association, aucun individu n’investisse l’espace public pour communiquer via de grands gestes. Il ne restera que les grandes manifestations de contestation. Il faut donc redonner envie aux jeunes créateurs d’investir la rue, non pas pour y organiser des animations – qui font vivre au public quelque chose d’écrit d’avance – mais des événements de rue. L’événement de rue, lui, dérange la vie de la ville et remet en cause l’ordre établi. Il est toujours un acte politique. Et moins il y aura d’événements, moins il y aura d’expressions d’engagements, moins il y aura de débat. Il n’y aura plus de création libre. Si demain les grands événements ne se déroulent que dans un espace confiné comme le Stade de France, la vie promet d’être bien triste.
Comment redonner l’envie aux créateurs de grands événements de réinvestir les villes ?
Gad Weil : C’est aux créateurs de retrouver l’énergie et l’envie de se battre pour lancer et porter des projets. Parallèlement la ville doit jouer le jeu en facilitant les démarches administratives. Il faudrait que les services de la ville acceptent d’adapter leur attitude en fonction de l’intérêt et de la pétillance du projet pour la commune. Il faut assumer une part de subjectivité dans les décisions de la ville à l’égard de telle ou telle création. Et je dis merde à ceux qui contestent ce droit ! Les maires ont le droit de dire et de faire en sorte qu’un projet puisse plus facilement aboutir. Tous les maires ont ce droit de reconnaître comme utile à l’intérêt de leur ville, de demander à leur municipalité, à l’Administration et à la Préfecture de les aider à trouver des solutions plus simples pour laisser un événement pétillant se créer et s’exprimer. Le choix est forcément arbitraire et appartient à l’élu qui a la légitimité pour le faire puisqu’il a un mandat du peuple. Charge à l’artiste de le convaincre.