Comme je le disais en début d’année, le long terme disparaît au bénéfice d’une succession d’imprévisibilités. Après les « feuilletons » gilets jaunes, grèves contre la réforme des retraites, les secteurs du tourisme et des Meetings & Events font face comme il peuvent à l’épidémie de coronavirus. Et les impacts économiques sont déjà nombreux. Si les small events, salons et événements de plus de 5 000 personnes* sont purement et simplement annulés ou reportés, certaines manifestations pensent avoir trouvé la parade grâce au streaming. Une solution de repli éphémère ou une tendance à surveiller ?
Hôtels, restaurants, lieux réceptifs, traiteurs, agences d’incentives et d’événements, organisateurs de manifestations culturelles ou sportives, prestataires, free-lance, etc. – pardon d’avance à ceux que j’ai pu oublier dans la chaîne de valeurs – tout le monde trinque en ce moment. Le secteur événementiel pansait ses plaies après les grèves de fin 2019. Il se retrouve désormais en apnée avec l’épidémie de coronavirus ou Covid-19. La panique étant plus contagieuse que le virus lui-même, les annulations et reports se succèdent selon un classique effet domino. Personne n’ose prendre la parole publiquement sur le sujet, alors que sur les réseaux sociaux les témoignages de professionnels pleuvent de toute part. Bref, on sent bien le vent du boulet.
La parade du huis-clos
Avant que l’épidémie n’atteigne la France, on avait bien remarqué ces défilés de mode newyorkais sans Chinois, ces annulations d’opérations incentive ou ces repérages reportés. L’annulation du World Mobile Congress fut véritablement le premier coup de semonce. On ne peut que croire Stéphane Richard lorsqu’il dit que la décision fut difficile à prendre, le patron d’Orange étant à plus d’un titre bien placé pour connaitre les enjeux des manifestations événementielles.
Autre moment symptomatique, le défilé Armani lors de la clôture de la Fashion week de Milan. L’épidémie ayant touchée la Lombardie, Milan est sous alerte. Que fait alors le créateur Giorgio Armani ? Il décide quelques heures auparavant de « jouer » son défilé à huis-clos « afin de préserver le bien-être de tous ses invités en ne les faisant pas fréquenter des espaces surpeuplés ». Les mannequins ont donc défilé devant des parterres vides et l’élégant créateur est venu saluer son public à la fin, comme à l’accoutumé, ou presque.
Ce que nous dit Giorgio Armani et son défilé
L’image de cet homme qui salue dans l’obscurité du vide parait de prime abord étrange, malaisante. Mais elle est loin d’être anecdotique. Ce que fait à ce moment précis Giorgio Armani, c’est saluer les millions de spectateurs qui sont derrière leurs écrans grâce au streaming. Partout dans le monde, et évidemment en Chine, l’un des tout premiers marchés pour les marques de luxe, on assiste quand même à l’événement. La parade est trouvée, the show still go on online !
Depuis quelques semaines, les marques et les organisateurs d’événements se précipitent sur les solutions de captages vidéos et de diffusions en live. Puisque le public ne vient pas à nous, c’est nous qui allons au public, ce disent-ils assez logiquement. Sauf que le bas blesse quelque peu. Tout d’abord parce qu’un événement filmé doit être initialement pensé pour cela. Ce n’est pas la même chose de mettre en scène un show qui va être retransmis que de plaquer une caméra dans un coin à la dernière minute. N’est pas un créateur de contenus digitaux qui veut. Par ailleurs, ce qui est vrai d’un événement d’une heure ou deux, ne l’est pas pour des événements de plusieurs jours. Personne ne va filmer de bout en bout un salon par exemple et encore moins l’organiser sans visiteurs. Vous me direz que là encore les marques retombent sur leurs pieds en faisant démo et présentations virtuelles. En attendant, la liste des événements d’envergure annulés s’allongent, le dernier en date étant le salon de l’automobile de Genève.
On a souvent dit que l’événementiel est un média ou que les événements devenaient des contenus pour nourrir le digital. A les considérer comme l’un des outils de la boite à outils marketing, oui les événements, même en streaming, peuvent continuer de faire le job. Nier la puissance des réseaux sociaux et de la vidéo serait évidemment un non-sens. J’entends aussi d’avance les adeptes du slow content dirent que filmer les events permettra de réduire l’impact écologique de l’événementiel. Plus de transports de visiteurs ou d’invités, plus de bouches à nourrir, moins de déchets, etc. Rappelons donc le coût énergétique faramineux du numérique : 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (le flux vidéo représentant à lui seul 80% du trafic de données) selon le rapport du Shift Project de l’an dernier.
Croire encore que l’internaute passe sagement des heures assis devant son ordi ou son smartphone, la main plongée dans le paquet de chips à regarder des vidéos avec une attention au top du top est bien sûr une erreur. Le visionnage en streaming explose, pas le taux d’attention.
Que l’événementiel n’ai d’autres choix actuellement que de vivre par écrans interposés se comprend. Que cela devienne une habitude des marques et des donneurs d’ordre est une erreur stratégique, qui plus est à l’heure des discours sur l’engagement sociétal et la raison d’être.
*Le gouvernement vient d’annoncer ce jour l’annulation de tous les rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu confiné.
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