Alors que le secteur événementiel est quasi à l’arrêt dans un contexte sans visibilité, l’onde de choc de la crise du Covid-19 continue de se répandre. L’heure est à la mobilisation générale mais aussi raisonnée et raisonnable pour que tout le monde sorte de l’épreuve par le haut.
Beaucoup de Français continuent de se faire la bise mais plus personne n’ose se réunir. Enfin presque, car quand l’événement est plus fort que tout, comme la Champions League de foot, on en arrive à des situations ubuesques où les supporters ne sont plus dans les tribunes mais à l’extérieur du stade, comme ce fut le cas au Parc des Princes mercredi soir lors du match PSG-Dortmund. Un constat avec lequel il nous faut bien composer, tout comme avec les appels au civisme émanant des autorités sanitaires, du gouvernement et depuis hier du président de la République. En attendant, la liste des événements reportés ou annulés s’allonge de jour en jour, et ce sans se cantonner aux événements de plus de 1 000 personnes, les seuls touchés à ce jour par des mesures de restriction. De nouvelles mesures devraient être annoncées dans les prochains jours, comme l’a indiqué Emmanuel Macron à l’occasion d’un discours très martial qui ne laisse pas présager d’une amélioration de la situation avant plusieurs semaines ou mois.*
Tous touchés
Comme nous l’évoquions en début de mois, c’est l’ensemble de la chaine de valeurs événementielle qui est quasiment à l’arrêt mais aussi les industries de l’entertainment, du voyage, du sport, de l’hôtellerie et la restauration, de la com’, du luxe, de l’automobile etc. Outre les entreprises, c’est un nombre considérable de free-lances, indépendants, intermittents du spectacle qui sont impactés sans avoir accès aux mesures de chômage partiel. “Aucune PME, PTE ou indépendants ne peut aujourd’hui imaginer vivre au-delà de 3 mois sans trésorerie” indiquait lundi dernier Bertrand Biard, le président de l’association LÉVÉNEMENT sur les antennes de BFM Business. Outre les annulations et reports, les professionnels doivent batailler pour être réglés des prestations commandées, en considérant les cas de force majeure ou non, et gérer leur masse salariale avec des solutions de passage en chômage partiel.
“Il faut agir en responsabilité”
Pour Gil Chérel, seul à bord de son agence System Event mais qui travaille en mode projet sur chaque opé avec des free-lances, ” il ne faut pas mettre de gens sur le carreau, notamment les indépendants. Même si on reporte les événements, il faut payer les free-lances pour le travail réalisé et facturé. Et reporter son événement n’a pas forcément un coût exorbitant. L’un de mes clients vient de déplacer au mois de juin son event de 1 800 personnes programmé le 13 mars pour un surcoût de 7 000€ sur un budget total de 200 000€. Un coût supplémentaire que les annonceurs peuvent entendre et accepter.”
Payer ce qui a été commandé et devisé, dans le respect de l’ensemble de la chaine de valeur événementielle et la prise de responsabilité, une position que partage Bertrand Dubus, pdg d’Aktuel. “Nous sommes dans un secteur poli où tout le monde se connait mais maintenant il faut agir en responsabilité. Il n’est pas normal que des prestations commandées ne soient pas réglées. Aujourd’hui, beaucoup de monde ne joue pas le jeu, les annonceurs par exemple en se retranchant derrière de nouvelles conditions générales d’achats qui ne tiennent pas compte de nos conditions générales de ventes. Il faut mettre tout le monde en face de ses responsabilités pour le bien de la filière et se mettre en bon ordre de marche pour la remise où l’on demandera beaucoup aux prestataires”, plaide celui-ci.
Autre exemple à Strasbourg, où le Parlement européen a décidé de suspendre ses sessions pour les transférer à Bruxelles, laissant du même coup sur le carreau de nombreux indépendants. “Ils nous promettent de reporter la session, mais moi j’ai perdu quatre jours de travail, et comme j’avais pris un hôtel non remboursable, je perds 150 euros en plus… je travaille 48 jours par an au Parlement de Strasbourg, si les sessions sont annulées, c’est mon statut qui va être en péril” témoignait un monteur vidéo chez nos confrères de France Info.
Des instances représentatives entre lobbying et informations
Du côté des instances représentatives de la filière, UNIMEV et PRESTALIANS ont informé leurs membres de l’évolution de la situation et des mesures à prendre. L’association LÉVÉNEMENT et son président Bertrand Biard sont quant à eux montés au front sur le terrain du lobbying, en interpellant le politique et en rappelant le poids économique du secteur révélé l’an dernier par l’étude EY. Des messages entendus du gouvernement, le ministre Bruno Le Maire en appelant même à “la solidarité nationale” des donneurs d’ordre vis-à-vis des prestataires événementiels, à l’occasion d’une réunion à Bercy lundi matin. A l’issue de celle-ci, délais de paiement pour les charges sociales et fiscales, dispositif de passage à temps partiel simplifié ont été annoncés, mais pas de fond de soutien débloqué comme le demandaient plusieurs représentants de filières touchées par la crise. Une communication efficace qui a permis de mettre en lumière la filière événementielle et son poids économique auprès des Français et du gouvernement, le président Macron ayant même cité le secteur dans son allocution d’hier soir.
Ceux qui reportent; ceux qui maintiennent
La liste des événements annulés ou reportés s’allonge chaque jour, mais il reste néanmoins quelques organisateurs qui, à date, maintiennent leur événement. Lundi matin, le président du conseil de surveillance de Publicis Groupe, Maurice Lévy, confirmait la tenue de Viva Technology en juin prochain. Il se montrait confiant quant à l’évolution de l’épidémie d’ici la tenue du salon (11-13 juin), tout en affirmant sa plus grande vigilance. Avec la décision des Etats-Unis d’interdire les déplacements en Europe et l’annulation de grandes manifestations telles que SXSW ou le report du festival Coachella au mois d’octobre, la tenue de ces Big Events internationaux va s’avérer néanmoins de plus en plus problématique. Idem pour les manifestations sportives et culturelles, et l’on pense bien évidemment aux rendez-vous événementiels du mois de mai, tels que Roland Garros et le Festival de Cannes.
Béatrice Eastham, fondatrice de Green Evénements et des journées du OUAI des 30 et 31 mars prochains, tient jusqu’ici ses positions quant à la tenue de l’événement : “Le OUAÏ est un événement au service de la filière pour l’aider a appréhender les enjeux sociétaux. S’il est possible (légalement) de maintenir les dates prévues, nous le ferons, car la filière a plus que jamais besoin d’échanger, de se reconstruire. Nous allons changer notre programme et faire évoluer notre contenu pour évidemment parler de l’épidémie et de ses conséquences. C’est aussi l’occasion de se poser les bonnes questions sur nos modèles, notre résilience face a ses nouveaux paradigmes de société. Nous y réfléchirons en concertation avec l’ensemble des associations et toutes les bonnes volontés du secteur” indique-t-elle.
Lieux et Evénements Prestige Sodexo a reporté à une date ultérieure la 3e édition de So Trend, estimant que l’événement s’adressant aux organisateurs d’événements et les agences “une plus grande disponibilité de temps et d’esprit de chacun sera la meilleure des conditions du succès de ce rendez-vous inspirant pour penser ensemble le futur de nos métiers.”
Autre décision encore avec Heavent Meetings reporté au 6,7 et 8 juillet toujours à Cannes. Un report qui s’entend mais qui questionne. Pas sûr en effet que le début juillet cannois soit la période idoine pour les professionnels qui vont soit sortir de la crise essorés financièrement, et/ou se trouveront en pleine activité pour leurs clients si la reprise est belle et bien au rendez-vous fin juin. Et on imagine mal la profession parader sur les marches du Palais des Festivals, comme si de rien n’était, après cette crise sans précédent pour la filière.
Les leçons à tirer
Épreuve collective, cette épidémie fragilise indéniablement le secteur événementiel déjà impacté par les grèves et les mouvements sociaux. Et une fois encore, la relation agence-annonceur montre ses défaillances avec certaines marques peu respectueuses des règles du jeu, quand celle entre les agences et les prestataires peut être améliorée. Pourtant, la crise met en lumière une filière en ordre de marche et déterminée à sortir par le haut et collectivement de l’épreuve. Et si la solidarité nationale voulue par le ministre de l’Economie et le président de la République n’est pas encore au rendez-vous de tous, elle va devoir l’être au plus vite. Révélateur de nos fragilités, le coronavirus pourrait paradoxalement s’avérer aussi un révélateur de solidarité, de responsabilité collective pour protéger notre économie et nos concitoyens dans un élan sans précédent dans l’histoire.
*Le Premier ministre Edouard Philippe vient d’annoncer ce vendredi 13 à 13h l’interdiction de tout rassemblement au-delà de 100 personnes.
Un commentaire
Bravo pour cet excellent article – Votre phrase de fin est PARFAITE