Consultant et fondateur du cabinet conseil Arthémuse, Lionel Malard revient pour nous sur La Page Blanche, l’événement phygital organisé le 4 juin dernier. Une journée attendue et très suivie qui marque les retrouvailles post-confinement des acteurs du secteur événementiel.
En préambule Lionel, qu’avez-vous ressenti avant et pendant cet événement organisé après 3 mois d’inactivité événementielle ?
La Page Blanche a prouvé que les événements, quels qu’ils soient, nous manquent cruellement en tant qu’être humain fondamentalement social, mais aussi comme professionnels ou observateurs de l’événementiel. On a envie de partage, de débats, de communion, de monter des projets complexes ensemble, de décrypter les évolutions, les tendances, les stratégies, de prendre du recul, de réfléchir, de partager les idées géniales ou les innovations, de témoigner des choix qui ont été posés ces dix dernières semaines par certains organisateurs et de dessiner les événements à succès et à impact positif de demain… Bref, La Page Blanche a juste rendu cette absence et ce manque particulièrement visibles et tenté de mettre en avant tous ces sujets pour rassembler et inspirer la communauté de l’événementiel. La Page Blanche a joué un rôle de catharsis après trois mois sans interaction sociale.
Comment ce projet a-t-il vu le jour et quel en était l’objectif ?
Fin avril, je rédige une tribune sur LinkedIn qui suscite beaucoup de réactions. Certains professionnels me considèrent alors comme un « fossoyeur de l’événementiel live », d’autres me disent qu’ils prennent conscience de la nécessité de se mettre en mouvement. De fait, tous se posent beaucoup de questions sur leur modèle, leurs compétences, leurs offres, leur valeur ajoutée… dans un monde de l’événementiel qui change rapidement et qui a amorcé sa mue bien avant l’épisode CoVid-19. Le virus ne fait qu’accélérer la transformation. L’idée germe alors de proposer un rendez-vous de réflexion, d’inspiration et d’échanges sur l’événementiel pour tous les maillons de la chaîne de valeur de l’événement. Le 7 mai, un comité éditorial composé de consultants, de journalistes, d’influenceurs et d’un décisionnaire en entreprise se réunit pour la première fois et planche sur le contenu. J’ai pris le parti assumé de ne pas associer d’opérateurs événementiels pour que le comité puisse prendre beaucoup de recul et conserver une liberté de ton et un contenu indépendant des légitimes revendications ou discours portés actuellement par les professionnels ou leurs représentants.
Pour quel bilan ?
Dans ce contexte inédit, nous ne nous sommes pas fixé pas d’objectifs quantitatifs, même si nous sommes très fiers d’avoir réuni pendant les 8 heures de direct 1404 personnes devant leur écran, un nombre qui va certainement augmenter avec les replays. Le but était de réaliser un événement live avec un contenu fort, une production exigeante et des temps d’intelligence collective. Sur ces trois points, La Page Blanche est une vraie réussite. Je retiens aussi la formidable énergie des 100 acteurs du projet, dont l’investissement, la compétence et la solidarité pendant ces 15 derniers jours de production, ont été exemplaires. Inactifs pour la plupart pendant les trois derniers mois, ils étaient, je crois, émus de se retrouver autour d’un projet commun et très motivés. Derrière l’événement, tous considéraient aussi mener une vraie mission : montrer que la communauté de l’événementiel est toujours vivante. Mission également accomplie. Enfin, les webspectateurs ont publié près de 3000 messages (soit un toutes les 6 secondes pendant 8 heures !) et transformé le tchat en véritable réseau social. C’était inattendu.
Organisée à la fois en présentiel et en distanciel, cette journée a nécessairement posé sur le devant la scène la question de la digitalisation des events. Quel est votre point de vue sur ce thème qui fait débat chez les professionnels ?
Je préfère parler d’événementialisation du digital. Un organisateur d’événements, quel qu’il soit, cherche avant tout à adresser le bon message au bon moment dans le bon environnement à ses communautés, internes ou externes. L’événementiel n’est pas une question de canal ou de média, mais bien d’expérience. C’est avant tout un état d’esprit qui s’adapte à tous les vecteurs de transmission (le live, le digital, les médias traditionnels…) et qui cherche à rendre exceptionnelle l’expérience vécue. Bien évidemment, l’événement physique est le dispositif de rencontre le plus abouti, parce qu’il touche l’être humain dans toutes ses dimensions. Mais il est aujourd’hui contraint. Faut-il renoncer pour autant à entretenir le lien avec ses communautés ? Bien sûr que non ! Les professionnels de l’événement physique ont cet avantage concurrentiel déterminant d’avoir l’humain dans leur ADN. À eux d’humaniser et d’événementialiser le digital, les médias… et de rendre extraordinaires le moment, le lieu, le contenus, le format… quel que soit le support. L’événement de demain associera sans aucun doute la puissance des contenus d’un média, la capacité du digital à capter de larges audiences distantes et l’émotion de la rencontre physique. Sans le prévoir au départ, La Page Blanche a étonnamment coché toutes ces cases.
Vous observez depuis de nombreuses années ce secteur. Si vous deviez exprimer une source d’inquiètude pour l’avenir des événements, quelle serait-elle ?
Dès maintenant, le défi que doit porter toute la communauté événementielle est de regagner la confiance des publics. Tant que le virus circule, même faiblement, j’ai peur que les publics craignent de se rendre à un concert, à un salon, à une conférence… Par ailleurs, sur La Page Blanche, un organisateur de congrès évoquait le fait que les jeunes médecins refusaient, contrairement à leurs aînés, de traverser la planète pour se rendre sur un événement, au nom de l’impact négatif de leur trajet et de la perte de temps dans les transports. La réflexion globale de l’impact environnemental des événements, en particulier internationaux, doit trouver des solutions concrètes et des actions de compensation. Enfin, la crise économique qui s’annonce fait craindre une réduction drastique des budgets et donc une tension sur l’économie des événements. Ces trois arguments prouvent que les rendez-vous qui survivront seront ceux qui programmeront des contenus incroyables et des expériences sensationnelles, pour lesquels on aura envie de se déplacer, et qui sauront mesurer leur impact sur chaque participant, sa communauté et le monde.

Et des raisons d’être optimiste ?
Ce qui me rend fondamentalement optimiste, c’est la capacité de création et de résilience des talents de l’événementiel ainsi que l’absolue et vitale nécessité de se rencontrer en vrai. Sur La Page Blanche, je me suis transformé pendant un mois en responsable de projet, un rôle que l’ancien journaliste, le consultant et l’observateur que je suis n’avait jamais endossé. Vu la difficulté à exercer cette fonction, je tiens d’ailleurs à saluer avec respect et admiration tous les chefs de projets. Sur La Page Blanche, j’ai surtout mesuré la compétence, l’exigence, la capacité d’adaption et d’innovation de tous ces pros qui ont mis leur expertise unique au service du collectif. Les singularités individuelles s’imbriquent entre elles et forment une intelligence collective qui crée de la valeur. Cette impressionnante alchimie force le respect. L’intelligence collective vaincra et permettra de trouver, malgré des contraintes pesantes, des occasions exceptionnelles de créer l’événement. Dès aujourd’hui.
Pour terminer, quels seraient les 3 mots que vous retiendriez et écririez en haut de cette Page Blanche ?
Courage, parce les périodes de transformation ne sont jamais faciles à appréhender, surtout lors de crises ; Abnégation, parce que, dans un événement ou dans une entreprise, toutes les expertises particulières doivent enrichir le collectif ; Rigueur, parce que, comme le dit Paul Valéry, « la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur ». J’aurais pu également écrire traumatisme, inspiration et engagement, les trois mots clés du programme de La Page Blanche. Une fois le traumatisme de la crise assumé, les professionnels de l’événementiel sortiront de leur zone de confort, iront chercher des idées sur d’autres terrains, s’inspireront et trouveront les ressorts pour s’engager vers des événements impactants, responsables et authentiques. D’ailleurs, j’aurais très bien pu sélectionner ces trois derniers adjectifs… On n’en sort pas !
© La Page Blanche – Jean-Claude Guilloux
Le replay La Page Blanche : https://bit.ly/2YbP72g