Avec “Le Livre du Live”, Arnaud Peyroles, fondateur du groupe Idéactif, signe un plaidoyer pertinent en faveur de l’événementiel. Echanges avec un artisan revendiqué des événements grand public, un “chirurgien urgentiste” et un “architecte du fun ” comme il aime à se définir…
Meet In : Quand avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ? A sa lecture, on sent comme une urgence face à une actualité compliquée à décrypter.
Arnaud Peyroles : D’abord il y a une conviction et une expérience. L’année où j’étais président du Raffut, il y avait une véritable effervescence, une énorme envie de partager cette conviction que l’événementiel était vraiment une réponse à tout un tas de questions que le marché pouvait se poser. Du rôle que l’événementiel joue dans notre société sans que cela soit souligné. C’est à ce moment que j’ai réalisé que je voulais écrire un livre sur le sujet. On peut très souvent parler de nos métiers, et d’ailleurs entre agences on partage beaucoup entre nous. Mais l’idée était déjà d’élaborer une pensée pouvant traduire ce qu’est un savoir-faire événementiel. Egalement de s’adresser à des penseurs, à des décideurs qui vivent ces événements. Et puis il y avait aussi le challenge personnel de réussir à l’écrire, de se dire “est-ce que je serai capable de le faire ?”
Meet In : Ce n’est pas un énième guide de bonnes pratiques sur l’organisation d’événements mais davantage un plaidoyer, un essai ?
Arnaud Peyroles : C’était important pour moi d’affirmer, de poser un certain nombre de choses. Il y a un véritable langage événementiel. Fêter la Coupe du monde de football sur les Champs, ce n’est pas la même chose qu’y venir avec un gilet jaune. Dans les deux cas, c’est un événement mais le langage n’est pas le même. Ou plutôt si, le langage est identique mais les phrases ne sont pas les mêmes. Mais dans les deux cas c’est hyper puissant. Ce qui caractérise l’événement c’est son hyper puissance, auprès des gens qui le vivent évidemment mais aussi de beaucoup d’autres personnes, compte tenu de la déflagration qu’il suscite. Mon propos est bien d’affirmer cela.
Meet In : Ne pensez-vous pas que cette puissance du média événement est désormais intégrée par les acteurs publics comme privés ?
Arnaud Peyroles : Jusqu’en 2008/2009, le secteur événementiel faisait globalement 20% de croissance annuelle, certes en bossant beaucoup mais sans trop se poser de questions. On a été un peu victime de cela en entrant dans une période de crise où il a fallu faire davantage d’efforts pour faire vivre l’événementiel. Pour convaincre. Des événements, il en existe depuis la nuit des temps et on continuera à en organiser. Aujourd’hui, on prend conscience qu’un événement bien organisé est porteur de résultats fantastiques, hors normes. Pour autant, on a du mal à les vendre et à être payer pour ce qu’on fait gagner à nos clients.
Meet In : Justement, n’est-ce pas la faute originelle des agences que de n’avoir pas vendu dès le départ l’idée, le concept, plutôt que la maîtrise d’oeuvre ?
Arnaud Peyroles : Oui, c’est totalement notre faute. C’est de notre responsabilité d’être capable de transmettre l’idée que l’on vaut beaucoup plus que ce qu’on nous paie aujourd’hui. D’où le travail que j’ai fait lorsque que j’étais vice-président de LÉVÉNEMENT l’Asso sur le chantier du ROI ou encore ce livre. J’essaye d’être cohérent avec mon discours. C’est tellement impliquant d’organiser un bel événement que cela nous nourri sur place, nous rassasie rien que dans son organisation. Cela relève de la passion, de l’engagement, mais il cela ne doit pas nous faire perdre de vue notre valeur. Donc il faut que les agences expliquent ce qu’elles rapportent et ce qu’elles valent.
Meet In : Vous parlez stratégie, ROI, tout en revendiquant votre approche artisanale. Vous vous considérez avant tout comme un artisan ?
Arnaud Peyroles : On a pas le choix, l’artisanat il faut le célébrer et non le subir ! Dans toutes les réponses que nous apportons il y a une part de savoir-faire, de coup de main, de sensibilité propre à chaque agence. On va assembler des choses qui existent déjà mais à chaque fois au service d’une nouvelle idée. Par définition, nous sommes toujours dans l’exploration permanente. C’est le prix à payer si l’on veut gagner une compétition d’agences. Il faut savoir embarquer l’annonceur dans un concept au minimum tendance tout en comprenant la marque, les publics, la société, les courants ascendants, etc. Surtout lorsque l’on fait de l’événementiel grand public. Au final, cela se traduit par des concepts événementiels qui doivent s’ancrer dans une réalité qui n’est qu’une somme de contraintes (de temps, d’argent, techniques, de sécurité). Pour faire face à cela, oui nous faisons de l’artisanat.
Meet In : Selon vous, est-ce que l’événement est un média ?
Arnaud Peyroles : L’événement est de fait, et pour toujours, le plus impliquant humainement. Cela nous implique physiologiquement. Après, il y a la notion d’être ensemble. Cette notion va paradoxalement à l’encontre de tout ce qui est fait en marketing/com. On vit dans une société qui sépare, qui identifie. Dans un événement grand public, on se sent en fusion avec la dimension collective. Pour toucher les gens à ce moment là, il faut vraiment être dans le mouvement, dans la légitimité, dans l’envie, etc. Il y a une vérité de l’ici et du maintenant dans l’événement qui est inégalable. Alors oui, l’événement est un média mais aussi beaucoup d’autres choses !
Meet In : Est-ce que le tort de certains donneurs d’ordre n’est pas de trop segmenter leurs publics au détriment du “tous ensemble” et du lien social ?
Arnaud Peyroles : En fait, il y a des événements qui rassemblent et parfois qui séparent. Comme avec la musique. Initialement, le rock, le punk étaient des musiques qui séparaient mais qu’on vivait ensemble. On confond souvent ce qui est universel et ce qui est populaire. On comprend le populaire dans son sens péjoratif alors qu’on est sur de l’universel, du plus fort que tout. Il y a plusieurs années, à l’époque du Raffut, on se crêpait le chignon pour définir ce qu’était l’événement. On évoquait notamment l’événement médiatique qui ne nécessite pas que les gens se rassemblent. Seulement, notre boulot c’est de rassembler des gens et c’est ce langage là que l’on maitrise le mieux. Le lien social c’est ce qu’il y a de plus précieux dans la vie. Lorsque l’on regarde le début du mouvement des gilets jaunes, on voit les rond-points peuplés de personnes qui ne se connaissaient pas, qui ont retrouvé le bonheur d’être ensemble, l’estime d’eux-mêmes. Ça n’a pas de prix. Quand une marque sait générer cela, le cultiver, cela crée un lien affectif incroyable. On le voit également avec les hommes politiques et les meetings. Durant les campagnes électorales, ils serrent des milliers de mains à s’en déboiter l’épaule. Croyez-moi, s’ils avaient trouvé un outil de com’ aussi impactant qui leur évite cela, ils l’auraient fait !
Meet In : Comment les marques peuvent être prescriptrices pour elles-mêmes mais aussi pour d’autres causes que la leur ? Pour créer des gestes événementiels, culturels, au bénéfice de tous ?
Arnaud Peyroles : Déjà, il y a un problème en France avec la culture. Bourdieu en parle très bien quand il dit que la culture ne rassemble pas mais sépare les gens. Il faut casser cela et, en effet, les marques peuvent y participer. Mais il y a une limite à l’exercice, d’autant que souvent il y a un décalage avec les ambitions et la réalité. A Paris par exemple, on a bannit les arts de la rue alors qu’on pourrait avoir dans cette ville des événements incroyables. Mais pour revenir aux marques, il y a des exemples qui fonctionnent. Quand Carrefour était partenaire de Lille 2004, il y a eu un véritable élan même si au départ nous étions un peu dans le choc des cultures. Carrefour était notre client et on a participé à se faire rencontrer le monde de la culture et de la grande distribution. Là je considère que l’on a fait notre job. A partir du moment où une marque se met au service d’un événement et d’une communauté, les gens lui sont reconnaissants. Restent deux obstacles : le premier est que nous vivons dans un pays où l’on aime bien que chacun reste à sa place ; l’autre étant que l’on a une industrie des médias qui préfèrent enfermer les marques dans des espaces publicitaires classiques, même si l’on constate actuellement que ce modèle évolue fortement. Et n’oublions pas non plus que l’Etat a ses chasses gardées. Il semble difficile dans notre pays de permettre à des marques – qui sont des expressions du capitalisme – de jouer un rôle reconnu dans la transmission culturelle qui lui donnerait de la légitimer et, qui plus est, soulignerait les limites de l’Etat.
Meet In : Qu’est ce que vous voudriez que l’on retienne de ce livre ?
Arnaud Peyroles : L’événementiel est un langage, pas un parti pris. Nous sommes en France, sans doute l’un des plus beaux théâtres du monde. La scène est là donc. De plus, nous sommes une terre d’événements donc ce que j’aimerais c’est que, d’un point de vue sociétal, on puisse programmer d’encore plus grands et beaux événements. Avec d’autant plus de rencontres entre l’Etat, les collectivités territoriales et les acteurs privés au service d’une cause commune. Il n’y a que du vertueux là-dedans. Le métier que l’on fait est comme l’oxygène qu’on respire, on ne mesure pas à quel point c’est précieux. C’est cela que j’aimerais que l’on dise, qu’on répète et qu’on retienne.
Propos recueillis par Laurence Rousseau
Le Livre du Live, quand l’événement grand public crée de la valeur
Arnaud Peyroles
éd. Alter Ego. Disponible à la Fnac et autres bonnes librairies…