14 avril 2021

Temps de lecture : 4 min

“L’omnicanalité n’est pas la recette magique de la performance !”

Le patron d’Havas Paris Julien Carette, dont l’agence vient notamment de sortir une campagne reboot bien croustillante pour la marque KFC, répond à nos questions express sur l’actualité. Une actu connectée aux enjeux de la communication et des events. Evidemment !
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Crise anxiogène ou crise passionnante ?

Je ne veux pas être indécent, car il s’agit d’abord d’une grave crise sanitaire, avec beaucoup de gens touchés, doublée d’une crise économique et sociale, avec des conséquences individuelles et collectives difficiles. Impossible de passer à côté de l’aspect humain de la crise.

Mais oui, à titre professionnel j’ai trouvé ces derniers mois passionnants car cela nous a permis d’accompagner beaucoup de clients dans un moment à très haute intensité, où tout s’est accéléré en quelques mois : information et engagement auprès des publics comme à la RATP, continuité des services comme à La Poste, valorisation de l’utilité sociale de la Fédération Hospitalière de France, ou basculement ultra rapide vers l’e-commerce de clients retail. Nous sommes montés au front avec nos clients et avons partagé avec eux ce moment de transformation et de mobilisation extrêmes.

Loi Climat et publicité : le sens de l’histoire ?

Je considère que la publicité est un levier de transformation positive de nos sociétés. S’interroger sur la pub, c’est déjà lui reconnaître un pouvoir et je suis persuadé que sans communication on ne fera pas évoluer durablement les comportements.

La publicité permet de faire de la pédagogie, de construire des imaginaires inspirants, de prendre connaissance d’innovations structurantes

La publicité permet de faire de la pédagogie, de construire des imaginaires inspirants, de prendre connaissance d’innovations structurantes. A nous, professionnels de la communication, de construire des récits intelligents et séduisants autour des enjeux de la transition écologique. La loi est là pour définir des limites et des normes, mais ne laissons pas de côté le levier publicitaire pour changer nos représentations et nos comportements. C’est également un levier puissant au sein des entreprises pour mobiliser les salariés autour de la transformation des modèles économiques, qui font souvent des salariés de véritables activistes de la mutation écologique. La communication est donc moins un problème qu’une solution.

Wokisme vs universalisme dans la communication ?

C’est un débat très important dans lequel nous nous sommes permis d’intervenir au travers d’une étude et d’une tribune signée de notre DGA Arielle Schwab et notre directeur de la stratégie Benoit Lozé. Epineuse et polémique question du wokisme en effet, avec des concepts très anglo-saxons de cancel culture, de « quotaïsation » ou encore d’appropriation culturelle. Le modèle français est cependant différent, ancré sur le triptyque Liberté, Egalité, Fraternité, sans oublier la laïcité qui reste incomprise par bon nombre d’autres pays. Mues par de bonnes intentions, ces nouvelles manières de penser et parfois de hiérarchiser les populations peuvent être en totale contradiction avec notre modèle universaliste. Nous faisons donc un pari : et si le modèle républicain, français et universaliste était une autre voie vertueuse pour répondre aux aspirations légitimes d’émancipation, de diversité, de responsabilité sociale qui percutent les entreprises.

L’entreprise républicaine, c’est celle qui paye ses impôts sur le territoire national, qui traite égalitairement les hommes et les femmes, (…) qui s’interroge sur son passé

Notre étude met en évidence un fort consensus en France autour de la République et de l’idée républicaine. Une idée que l’on retrouve dans le rôle que doit avoir l’entreprise de demain. L’entreprise républicaine, c’est celle qui paye ses impôts sur le territoire national, qui traite égalitairement les hommes et les femmes, qui donne leur place aux minorités tout en refusant le marketing communautaire, qui s’interroge sur son passé, etc. Comme l’a monté notre Observatoire des Marques dans la Cité, une majorité de Français considèrent que les entreprises ont un rôle décisif à jouer sur ce terrain-là, plus que les gouvernements. Au fond, il est de plus en plus vrai de dire que les marques sont entrées en politique.

Information, infotainment, entertainment… que veulent les publics ?

Grâce à Vivendi, nous avons accès aux assets et à des marques très fortes de la culture, de l’audiovisuel, du gaming ou de l’entertainment qui sont autant de terrains d’expression et d’interaction pour nos clients. C’est absolument passionnant et permet de trouver d’autres voies d’efficacité que le modèle publicitaire classique. Prenons l’exemple de nos cousins d’Havas Sport & Entertainement qui ont monté un programme de sensibilisation à la maltraitance des enfants avec l’association L’Enfant Bleu. Ils ont créé un avatar dans un jeu vidéo, animé par des volontaires, et qui détecte et protège les enfants d’adultes prédateurs s’infiltrant dans l’univers du gaming. Cette opération a eu un énorme retentissement et se veut un bel exemple d’entertainment au service de l’intérêt général. On voit bien ici, pour la bonne cause, à quel point le gaming est un nouveau terrain de connexion et d’interaction avec des publics éloignés de la publicité classique.

L’omnicanalité : le graal pour l’annonceur ?

Je ne le crois pas. Certains annonceurs que l’on estime à raison comme très modernes ont une communication classique, à l’instar d’Apple par exemple. Il n’y a pas d’incohérence à être une grande marque contemporaine et à utiliser uniquement la télévision et l’affichage. On peut être singulier en utilisant un ou deux médias. Trop d’omnicanalité tue l’omnicanalité, et elle n’est pas la recette magique de la performance ! Avant tout, il faut utiliser le levier qui correspond à la personnalité de la marque, aux publics auxquels elle veut s’adresser et à la relation qu’elle souhaite instaurer. Sans compter les effets de rebonds d’un média à un autre qui me semblent plus intéressants que la seule omnicanalité.

Clubhouse, Facebook Hotline… : antichambre ou voie de garage de la rencontre physique ?

C’est un peu toujours le même débat quand émerge un nouveau média. Or l’histoire nous l’enseigne, les médias se superposent, se complètent, se nourrissent les uns les autres. Comme je suis un incorrigible optimiste et adore tester de nouvelles manières d’échanger, je trouve Clubhouse très excitant. Je suis aussi un fan de la voix, donc de radio et de podcasts. La voix est un médium très puissant pour dire des choses complexes à l’oreille des gens.

Au-delà de la voix, l’appli Clubhouse a un autre intérêt : sa capacité à créer des débats horizontaux dans lesquels tout le monde a voix au chapitre. C’est un exercice difficile et challenging, mais un concentré hyper stimulant. Nous verrons bien comment les audiences de Clubhouse ou d’autres évolueront pour juger si cela tient du micro-network ou si cela se démocratise.

Concernant la rencontre physique, notre agence Havas Events s’est totalement digitalisée en passant à l’e-event en quelques semaines, en s’appuyant notamment sur Canal+ et ses studios. Si ces expériences ont formidablement fonctionné dans la crise, il faudra également des moments de rencontre en présentiel où le hasard nous fait côtoyer de nouvelles personnes, contrairement aux outils fonctionnels du digital. La solution se trouve dans le modèle hybride, dans l’alternance du fonctionnel et de l’émotionnel. Dès que cela sera possible nous allons constater à quel point les gens ont besoin de faire la fête et de se retrouver, mais certaines fonctionnalités et l’horizontalité de Clubhouse peuvent perfuser les outils événementiels et digitaux.

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