Vis ma vie de pauvre
Peut-être avez-vous regardé Envoyé Spécial jeudi soir pour écouter Penelope Fillon et suivre l’inique feuilleton du moment. Si oui, j’espère que vous n’avez pas loupé le reportage diffusé en fin d’émission sur ces stages aux Etats-Unis qui vous apprennent à être pauvre.
Car oui, vous avez bien lu, au pays de l’entertainment absolu, des formations « vis ma vie de pauvre » fleurissent pour faire toucher du doigt cette réalité aux étudiants et à ceux qui ont la chance d’avoir un boulot et un toit. Devant ma télé, je me suis dis « sans déconner, ils n’ont pas osé !? ». Eh bien si, et je n’étais même qu’au début de mon atterrement tant l’enquête est édifiante et les témoignages confondant de bêtise crasse.
Je ne peux que vous conseiller de foncer regarder ce reportage en replay, où vous verrez par exemple une mère de famille aisée se demander si les pauvres mettent de la crème de nuit pour prendre soin de leur peau…
Team-building indécent
Alors bien sûr, il est facile de fustiger cette Amérique qui croit toujours en son rêve et qui vient d’élire Donald Trump. Pas totalement cyniques, les organisateurs de ces formations – qui peuvent être des ONG d’ailleurs – objecteront que leur mission est d’éveiller les consciences. Mais on ne peut s’empêcher de voir ici de grands enfants qui jouent à se faire peur et se mettent en scène à la manière d’un team-building – être dans l’expérientiel, pour reprendre la tendance du moment- pour toucher du doigt une réalité qui leur suffit pourtant de ne pas ignorer au quotidien.
Le mécanisme de la peur
Par peur du déclassement, un grand nombre d’Américains ont décidé finalement de ne plus voir leurs pauvres, de les encastrer dans le décor ambiant ou bien de les rejeter en périphérie pour éviter qu’ils ne les contaminent. L’expérience des stages de pauvreté était décliné à Davos pour sensibiliser les grands de ce monde. Pas avares d’expériences, les organisateurs de ces stages proposent aussi une déclinaison « vis ma vie de migrants ». A ma connaissance, il n’y a pas de tels stages en France, mais pour combien de temps ? Est-ce un mal nécessaire pour ouvrir les yeux ? N’est-on pas en train de revenir aux Saturnales de l’Antiquité pour supporter et finalement conforter l’ordre établi ?
Qu’ils soient virtuels ou bien physiques, des murs sont en train de s’édifier partout dans le monde entre riches et pauvres. C’est déjà en ne participant pas individuellement à leur construction mentale que la réalité ne rattrapera pas les scénarios de science-fiction des Snowpiercer et autres Hunger Games.