7 mars 2024
Temps de lecture : 5 min
Plus de 10 ans après les premières lois en faveur de la mixité et l’égalité professionnelle, les femmes gravissent désormais plus fréquemment les marches qui mènent aux estrades et aux micros. Si elle n’est pas contestée, leur place en tant qu’intervenantes sur les événements ne relève pourtant pas encore de l’évidence au quotidien.
Laurence Rousseau
Versailles, lundi 4 mars. Yaël Braun-Pivet siège au perchoir devant 900 députés et sénateurs réunis en Congrès du Parlement, à l’occasion de l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Une décision scellée dans le marbre sous une présidence féminine des deux Chambres ; une première dans notre histoire mais aussi dans l’histoire des femmes.
Aurions-nous assisté à une scène similaire il y a seulement 10 ans ? Assurément pas. Il y a donc tout lieu de se réjouir de cette conquête féminine d’un nouvel espace d’expression (et de pouvoir) – dans le cas présent sur la scène politique – mais plus globalement sur la scène médiatique. Alors, les femmes ont-elles gagné définitivement leur légitimité en termes de prise de parole en public ?
Selon l’Arcom, la part d’expertes sur les plateaux de télévision était de 45% en 2022, un chiffre en constante augmentation puisqu’il n’était que de 30% en 2016. Lors des débats, tables rondes et autres keynotes qui animent le secteur événementiel, les femmes gravissent de plus en plus fréquemment les quelques marches menant aux tribunes. Dans la sphère professionnelle, la loi
Copé-Zimmermann de 2011, et les suivantes en faveur de la parité et de l’égalité hommes-femmes, ont ouvert la voie à une meilleure représentativité des femmes dans le top management
des entreprises, et plus largement dans la sphère économique. Là où justement les organisateurs d’événements puisent leur inspiration pour construire leur panel d’intervenants.
« Il y a encore 5 ou 6 ans, s’il n’y avait pas de femmes sur une table ronde cela ne choquait personne. Et si on le faisait remarquer, on passait vite pour une féministe casse-pieds. » Aziliz de Veyrinas
“ J’ai noté une véritable évolution. Il y a encore 5 ou 6 ans, s’il n’y avait pas de femmes sur une table ronde cela ne choquait personne. Et si on le faisait remarquer, on passait vite pour une féministe casse-pieds. Alors qu’aujourd’hui, c’est une condition sine qua non. Nous avons des patrons qui refusent d’intervenir sur des plateaux si aucune femme n’est présente.” témoigne Aziliz de Veyrinas, directrice des Événements du groupe Les Echos – Le Parisien.
Et une femme qui ne soit pas la modératrice, précise-t-elle, tant la présence féminine pouvait jusqu’à lors être réservée au rôle d’animatrice / observatrice, et non à celui de sachante / experte. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a poussé Marie-Françoise Colombani et Chekebas Hachemi à créer en 2012 la plateforme, puis le guide, les Expertes France, auxquels abondent désormais plus d’une dizaine de médias et groupes de presse français. A date, elles sont quelque 7 000 expertes, tout secteur confondu, à être référencées sur la plateforme.
Autre initiative née du constat du manque de mixité dans les interventions publiques, le hashtag #JamaisSansElles fait son apparition en 2015, en réaction à un panel de speakers exclusivement masculins, lors d’une conférence sur le numérique organisée par l’Elysée.
S’ensuit la création d’une charte (voir encadré) dont les signataires s’engagent à ne participer à aucun événement dont les femmes seraient absentes. Pour Antoine Sire, directeur de l’engagement d’entreprise du groupe BNP Paribas, la cause n’a rien d’anecdotique. “ Des cas où on m’invite à intervenir et où je fais jouer la clause #JamaisSansElles, j’en ai encore aujourd’hui au minimum un par mois ! ”. Des propos tenus en décembre 2023, il n’y a pas si
longtemps donc.
Trouver des intervenantes légitimes, sans tomber dans le travers des quotas, ne serait donc pas une difficulté mais un biais à corriger. Pas si simple. “ Sur le Common Good Summit que nous organisons avec Challenges, nous avons eu des difficultés à trouver des femmes chercheurs ou des prix Nobel d’économie. Esther Duflo ne pouvant être présente, nous avons hésité à diffuser une autopromo de l’événement où ne figuraient que des hommes. ” indique Aziliz de Veyrinas.
Pour Lionel Malard, consultant en événementiel et programmateur de conférences “ Depuis 8 ans que j’organise le programme de conférences du salon Heavent, je n’ai jamais réussi à atteindre la parité sur mes plateaux, mais je m’améliore d’année en année et m’en approche. Je passe 80% de mon temps à sourcer des speakers femmes, des profils de dirigeantes, puis à les convaincre de venir témoigner. ” La faute à un secteur où les femmes ne sont pas légion dans les systèmes de gouvernance, tout comme chez les prix Nobel d’économie…
« Lorsque j’envoie un mail pour solliciter un speaker, les hommes me répondent dans les 48h. Les femmes, je suis obligé de les relancer une seconde fois. » Lionel Malard
Est-ce à entendre que les femmes se laisseraient moins aisément convaincre de prendre la parole sur des événements que les hommes ? “ Lorsque j’envoie un mail pour solliciter un speaker, les hommes me répondent dans les 48h. Les femmes, je suis obligé de les relancer une seconde fois. ” constate sans vraiment se l’expliquer Lionel Malard. S’il y a certainement une question d’ego bien ancré, voire surdimensionné, de la part d’hommes qui ne posent même
pas la question du contenu attendu avant d’accepter d’intervenir, le syndrome de l’imposteur pourrait expliquer la réserve des femmes. Pourtant, lorsque l’on creuse avec des speakers femmes les thématiques pour lesquelles on recherche leur expertise, il n’y a pas de sujet de légitimité. “ La création de valeur au féminin est là même qu’au masculin ” tient à préciser Lionel Malard.
Manque d’habitude, biais inconscients, pression sociale… “J’observe que la prise de parole en public est souvent perçue comme plus difficile par les femmes. Elles expriment en tout cas plus facilement leur appréhension, leurs émotions négatives et leurs peurs de l’exercice. Pour le travailler avec elle, je constate qu’il s’agit principalement d’un manque de confiance, d’une crainte du jugement et très souvent de fausses croyances sur elles-mêmes.” témoigne Vincent
Dumont, consultant communication live. Un constat qui se traduit par un surinvestissement dans la préparation, avec une attention toute particulière sur le moindre détail de fond comme de forme. “ J’y vois là un formidable atout : cette conscience de « l’importance du moment » conduit généralement à des interventions plus abouties car plus travaillées. ” précise-t-il.
Miroir de la société, l’événementiel n’échappe donc pas aux écueils de la représentativité de la parole féminine. Mais plus il mettra en lumière la diversité des voix, mieux il en projettera un reflet ayant valeur d’exemple.
Ce que dit l’engagement #JamaisSansElles
Trop de panels, de tables rondes, de comités d’experts ; trop de conseils, de réunions, de groupes de débatteurs… sans femmes ! Dorénavant, nous ne participerons plus à aucune manifestation publique, événement ou intervention médiatique, en présentiel ou à distance, où seraient débattus, commentés ou jugés des sujets d’intérêt commun, sociétaux, politiques, économiques, scientifiques ou stratégiques, et qui ne compteraient aucune femme parmi un nombre important d’intervenants. Nous ne demandons pas de quotas, de règle écrite, de loi. Un simple engagement personnel face à une évidence : un panel sans la moindre femme est une anomalie notoire, une absurdité criante. Tel est l’engagement et l’appel lancé avec conviction le 20 janvier 2016 par le « Club des gentlemen », un groupe d’entrepreneurs et de personnalités du numérique, engagés dans le débat citoyen et la transformation humaniste de la société, présidé par Tatiana F. Salomon avec Etienne Parizot et Philippe Charlier. Cette manifestation permanente sera appuyée par des déclarations publiques, chaque fois que nécessaire, et accompagnée sur les réseaux sociaux du hashtag #JamaisSansElles.
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